
C'est simple, je n'ai jamais manqué de rien. Si je voulais quelque chose, il me suffisait de claquer des doigts pour que mes parents subviennent à mon besoin, peu importe son prix. Ils ont toujours répondu à mes caprices, jusqu'à ce que mon père en ait eu marre, des biens qu'ils m'offraient et dont je ne prenais même pas soin. Alors quand je leur ai demandé une voiture pour mes dix-huit ans, ils se sont assis tous les deux en face de moi à la table du salon et, pour la première fois, d'un ton ferme, ils m'ont dit « non ».
- Si tu veux une voiture, tu te la payes.
Je n'ai pas vraiment compris pourquoi ce refus soudain alors qu'ils avaient largement les moyens. Ma mère n'avait pas vraiment eu l'air d'accord avec ça, mais elle a dit qu'au moins, ça me ferait réfléchir. Elle n'a pas eu complètement tort. Je suis monté à l'étage en claquant la fourchette que j'avais dans la main sur la table, sans finir mon assiette, ce qui a tracassé ma mère. Et je le savais, c'est d'ailleurs pour ça que j'ai pensé que ça allait la faire céder. Elle en fait toujours tellement trop avec ma santé. Mais non, je suis resté allongé sur mon lit, à les écouter d'en haut se rassurer, parce que c'était « ce qu'il me fallait. » Ce qu'il m'aurait fallu, c'est qu'ils apprennent à me dire « non » avant que j'atteigne les dix-huit ans. J'ai regardé autour de moi, dans cette immense chambre aux nombreux trucs inutiles et très chers. J'étais décidé à avoir cette voiture, pourtant, je ne savais pas si je la voulais vraiment, ou si c'était juste pour être le premier parmi ma bande de potes à en avoir une, en plus d'avoir un foutu permis. J'avais prévu le silence, les caprices, ou même la grève de la faim pour les prochains jours, et bien sûr me nourrir comme il faut au lycée. C'était sûr, qu'ils allaient craquer. Le lendemain, quand je suis descendu au rez-de-chaussée, ce sont eux qui ont décidé de ne pas me parler. Quand je suis arrivé au lycée, j'étais vraiment d'une humeur massacrante. J'ai pris le bus, pour une fois. De toute façon, mon père n'avait pas l'air de vouloir me déposer. Et s'ils ne m'adressaient pas la parole, je n'allais pas le faire non plus.
Traverser les couloirs toujours bondés, c'est l'horreur. J'avais déjà envoyé six messages à Niall pour lui demander où il était, pour qu'au final, cet idiot me réponde, quinze minutes plus tard, « là ». J'ai fini par l'apercevoir dans les couloirs des cours de langues, tout au fond. Mes épaules frôlaient un peu tout le monde, mais je n'allais pas m'excuser pour si peu. Et puis, je n'étais pas d'humeur. Juste avant d'atteindre Niall, j'ai percuté un gars, un peu trop violemment. Tellement qu'il est tombé. Mais comme chute, il y a pire. Je me suis arrêté pour me tourner vers lui, un peu coupable alors qu'il essayait déjà de ramasser ses livres au sol, sans grand succès. Il tremblait tellement. J'ai pensé à m'excuser, mais il avait l'air bizarre. Alors sous quelques insultes venant des autres, j'ai rejoint mon groupe d'amis assis plus loin, devant la salle de notre prochain cours qui n'allait pas tarder à débuter.
- Ce n'est pas ton entrée la plus discrète.
Après avoir salué le petit monde qu'il y avait autour de Niall, je me suis assis avec lui. Il a demandé en regardant vers le couloir si ce gars allait bien, puis il a ri et j'ai compris qu'il n'était pas sérieux. Moi, je voulais juste oublier. On ne peut clairement pas dire que Niall était mon meilleur ami, mais je pense que c'était un truc dans le genre. Et pour une fois, c'est moi qui me suis plains de mes parents. Ils m'ont écouté. Ils ne parlaient pas mais leurs pensées étaient trop fortes. Le petit bourge qui se voit se faire refuser un caprice et qui est à bout de sa vie, pauvre chéri. La plupart d'entre eux n'ont plus qu'un seul parent, mais pourtant ils ne vivent pas mal. Mais moi, j'ai jamais appris à faire attention aux autres, à leurs besoins, alors j'ai continué péniblement à parler de moi, jusqu'à ce qu'on rentre et que le cours commence. Niall a essayé de me dire que ce n'était pas si grave. Il défendait mes parents quelque part, traités d'incapables à tort. Mais Liam en rajoutait une couche derrière, du coup ça ne donnait pas vraiment une conversation claire.
- T'as raison, rebelles-toi, ils finiront par comprendre que pour ton bonheur, il faut passer par là. Et tu gagneras. Ça lui paraissait normal.
- Ses parents sont riches, pas idiots! Non, je pense juste que ce n'est pas la mort, de se voir se faire refuser une voiture.
- Ouais, mais attends, ils ont les moyens. Ce n'est pas quand ils crèveront qu'ils vont l'utiliser tout ce fric.
- Et bien voilà, désolé pour toi Harry, mais tu devras attendre le décès de tes parents pour t'acheter une Audi. Ça m'a fait sourire.
- Ah parce qu'en plus t'as demandé une Audi?!
- Très drôle, et non, je n'ai rien demandé d'aussi précis ! Je me suis défendu.
- Sale bourge.
- Sale ... Jaloux ! Crachait Liam, en se penchant sur notre table.
- Bon, un, deux, trois. Hop! Vous, dehors !
C'est parti en une sorte de combat, à celui qui aura le dernier mot. Le professeur de Français contre à peu près la moitié de la classe. Finalement, elle a gagné, mais quelque part nous aussi. Une dizaine d'élèves environ se sont fait renvoyés et on s'est tous retrouvés derrière le gymnase, avec trois joints à faire tourner. Quand la sonnerie a retenti, la deuxième partie de mon groupe d'amis nous a rejoints, et Helya, en particulier. Helya et ses airs coquins rien que pour moi à travers tous ces autres garçons. Helya et ses remarques déplacées, ou excitantes. Helya et ses longs cheveux blonds dont elle laissait le vent coiffer, ses lèvres pulpeuses, rosées de rouge à lèvres, ses yeux bleus soulignés par un fin trait de crayon noir et son mascara qui donnait un merveilleux volume à ses cils. Helya, c'était la plus belle de mes amies, c'était celle que tout le monde regardait quand elle passait. Les garçons, rosés d'envie, les filles, vertes de jalousie. C'est Liam qui m'avait dit, la semaine d'avant, qu'elle « était sur moi ». Ça me rendait timide, je la trouvais tellement belle. Je regardais la substance glisser entre ses doigts fins, la fumée s'échapper de ses lèvres, entre lesquelles j'aurais bien aimé poser les miennes, sur le moment. Elle m'a vu la regarder, alors elle m'a souri, m'a attrapé la main et puis on a marché à travers les couloirs du lycée sans rien dire, jusqu'à ce qu'elle pousse la porte des toilettes des garçons. Elle a plaqué ses longues mains sur mon torse pour me coller contre le mûr et m'embrasser follement. J'ai gardé mes yeux ouverts tout le long, j'étais tellement surpris. Ses doigts se sont resserrés sur le col de ma veste et elle a laissé son dos claquer contre les lavabos. Mes mains sont allées à la rencontre de ses fesses sous sa robe, pour les poser sur le bord et retrouver ses cuisses se frottant à mes hanches. Elle ne disait rien, et moi j'en étais presque frustré. En même temps, on avait peut-être les lèvres déjà trop occupées. Je n'ai pas attendu la porte des toilettes s'ouvrir, j'y ai fait attention juste parce qu'elle a retiré sa langue de ma bouche.
- Il veut quoi l'attardé ?! Elle a pesté.
C'était le gars que j'avais laissé par terre, comme un con, en début de journée. Mon c½ur me rappelait justement sa présence, il me chuchotait que même si je pensais être un connard, lui, il vivait toujours. Alors quand mes yeux ont rencontré ceux de ce pauvre type, j'ai tourné ma tête de l'autre côté, gardant Helya contre moi. Je priais intérieurement pour qu'il parte très vite, mais il est resté planté là un moment. Elle a pris un stylo dans son sac et lui a jeté, pour qu'il se décide enfin à partir. J'me suis demandé pourquoi il ne s'était pas vite enfui. Si c'était un nouveau, ou s'il le faisait exprès. Tout le monde savait comment ça se passait dans ce lycée. La porte a claqué, je trouvais qu'elle avait un peu abusé avec le crayon mais ses lèvres m'ont fait oublier. Sa peau, elle était douce. On s'est enfermés dans un des cabinets après qu'elle m'ait demandé si ça me gênait de louper vingt minutes de cours, histoire de passer un peu de bon temps avec elle. Quand je suis sorti, une fois le pantalon correctement remonté, j'ai reluqué ses fesses une dernière fois alors qu'elle se remettait du rose sur les lèvres. Puis elle a tiré un petit coup sur sa robe en se tournant vers moi.
- Disons que c'est notre petit secret. J'pense pas que l'attardé dira grand chose, vu qu'il ne parle pas. Elle ricanait.
Elle m'a embrassé. Je crois que c'était la première fois que je l'embrassais en fermant vraiment les yeux. Elle est partie et je suis resté seul, comme un idiot, les mains sous l'eau froide, à essayer d'oublier ce qui venait de se passer. Bien sûr, c'était déjà arrivé, mais pas avec des filles comme Helya. Tout de suite, je la trouvais moins classe, moins grande, moins rayonnante. Encore moins quand je suis retourné en cours. Je suis allé m'asseoir sous les rires des autres, sûrement à cause de mes cheveux désordonnés ou mes vêtements mal replacés. La table devant moi et Niall et celle de derrière se sont retournées pour lancer les paris.
- Baise.
- Fellation !
Niall m'a regardé, il a souri sûrement face à mon regard de paumer et il a jeté sa main à travers mes boucles.
- Cheveux ébouriffés, à moins qu'elle ait voulu jouer à la coiffeuse, j'dirais baise. Mais on ne va pas lui faire une standing ovation non plus, il fait juste partie des nôtres, pas vrai ?
Ils ont rit, et puis, ils ont tous fait genre, à nouveau, de s'intéresser au cours de Madame Advient. Je me suis penché vers Niall.
- Vous vous êtes vraiment tous tapé Helya ?
- Bah ouais mon gars. Mais cette meuf ce n'est pas un mythe. Elle est passée partout, mais « partout » n'en parle simplement pas.
Il a haussé les épaules, faussement désolé. Je ne savais pas ce qu'il avait avec moi ce jour-là, mais il n'avait pas l'air de vouloir me parler. Je crois qu'au fond, j'aimais ça venant de Niall ; le fait qu'il ne soit pas trop con. Il était même moins con que moi, sûrement, avant. Dans la journée, on est plus resté tous les deux, pour éviter que je sois envahi par la connerie des autres, comme il aimait dire. Il n'a pas parlé plus pour autant, il n'a même carrément rien dit. Quand je lui demandais pourquoi il faisait la tête, il se contentait de hausser les épaules. Je ne pensais qu'à Helya, peut-être que c'était à cause de ce qui s'était passé. Je ne voyais que ça, en fait. Alors que, bon, il n'avait pas l'air de l'aimer tant que ça. Je l'ai croisé d'ailleurs, plus tard, dans l'après-midi. Elle m'a laissé discrètement un clin d'½il, en passant une main dans ses longs cheveux. Quand j'ai eu mon dernier cours, je m'apprêtais à aller fumer avec les autres, mais j'ai remarqué la voiture de mon père. J'ai salué Niall et je suis monté. Je n'ai pas compris pourquoi il avait fait ça, alors qu'il n'a pas laissé une seule syllabe sortir de sa bouche de tout le trajet. On est passé devant la maison sans pour autant s'arrêter, alors je lui ai rappelé que c'était là, qu'on résidait, au cas où il avait subitement été atteint d'Alzheimer dans la journée. Il a arqué ses lèvres, sans pour autant cracher un seul mot. On est arrivé sur le parking d'un garage, et là j'ai souri. Maman nous attendait, elle sortait du travail. J'ai fait semblant de ne pas comprendre et puis on est rentré à l'intérieur pour contempler les voitures les plus chers.
- Si tu te sens prêt à nous rembourser autant d'argent, alors, vas-y, choisis !
C'était donc ça, qui se tramait derrière moi. Comment est-ce qu'il voulait que je rembourse une voiture aussi chère ? J'ai essayé de les convaincre comme je pouvais, mais ils avaient l'air décidé. Alors, j'ai perdu, et on est rentré. Ils ont dit qu'il y avait quelque chose qui m'attendait à la maison et j'ai eu un petit espoir. J'avais compris la leçon, maintenant, ils pouvaient me donner ce que j'attendais. Quand on est arrivés à la maison et que papa a laissé la porte du garage s'ouvrir, mon visage s'est décomposé. Même mon grand-père n'avait pas connu une voiture aussi vieille. Une vieille camionnette rouge, écaillée de partout. J'ai pensé à une blague, mais ils avaient l'air très sérieux.
- Alors, qu'est-ce qu'on dit ?
- Merci ? J'ai dit, ironiquement.
Il a ébouriffés mes cheveux avant de me déposer les clefs dans les mains et de rentrer dans la maison. Maman s'est approchée, elle m'a déposé un baiser sur la tempe avant de me murmurer un « joyeux anniversaire » à nouveau. Elle m'a lancé un regard un peu désolé, puis a sorti un morceau de papier de sa poche.
- Une voiture, ça s'entretient, et puis il faut la nourrir aussi. Disons qu'elle sera ton moyen de transport pour aller travailler. Tu commences lundi. On t'aime, tu le sais Harry ? Bienvenue dans la vie, mon chéri.
Et je me suis retrouvé planté comme un con, au milieu du garage, devant cette voiture que je trouvais horrible et vieille, les yeux sur le papier que maman venait de me donner.
« Aide et Soutien scolaire à domicile
de 17 à 21 heures.
Mr & Mrs SMITH 15 Greek Street.
077 452 689 »
C'était un peu comme une énorme blague. La blague de l'année, voir de ma vie, même. Une grosse blague, qui ne m'a, en rien, faite rire.